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Démasque(r) les tissus africains

notre histoire

Pendant longtemps, nous avons revendiqué notre africanité en arborant des tissus dits africains. De nombreux bouleversements nous ont fait nous rendre compte que nous nous trompions totalement. C’est donc d’un choc identitaire que naît ce projet.

|| (Dé)masquer les tissus africains : les origines, épisode 1 ||

Trois événements marquants déterminent le moment où je décide de me lancer dans le projet de documenter, à ma manière, les tissus africains. Je vous raconte cela en trois épisodes.

*** 1 ***

C’était en décembre 2015. J’organisais depuis déjà une année et demi avec Ivan Larson Ndengue un voyage d’échanges au Cameroun entre danseurs de Suisse et du Cameroun. J’avais sué sang et eau et je m’étais donnée sans compter. Je collaborais à ce moment-là avec deux partenaires au Cameroun dont je tairais le nom. Ils étaient supposés organiser l’accueil sur place de toute l’equipe suisse, ainsi que de la promo des événements et des stages. 2 semaines avant le voyage, je me rends compte grâce à l’avisé Nguena Arnaud que rien n’est fait , mais alors rien, nada, zero, le néant.

Je décide de rompre manu militari la collaboration avec les deux personnages. Jusqu’alors, j’utilisais le nom de l’association créée au Cameroun et dont ils étaient les porteurs et que j’avais convaincu Ivan d’utiliser pour l’association ici, ” pour créer une synergie et renforcer la collaboration”. Le lundi où je décide de rompre les liens, j’ai une demi- heure pour repenser intégralement l’identité visuelle du projet, changer de nom d’association, etc… une demi-heure parce que j’étais au boulot et que j’allais bientôt commencer. Je devais faire vite, les chers Messieurs, énervés, m’avaient envoyé un courriel bien salé dans lequel ils m’intimaient l’ordre de cesser d’utiliser le nom et le logo de l’asso ( lol, ils “m’intimaient”).

Je commence par créer le logo et je tape les mots clé : ” image qui fait penser à l’Afrique ” (oui bon on a fait mieux, mais je n’avais pas le temps ah ah). Je tombe sur une image qui me parle tout de suite . Je décide de l’utiliser sans chercher plus loin et voilà ! Un nouveau logo (photo ), un nouveau nom, une nouvelle identité visuelle, le reste appartient à l’histoire.

C’est un mois après notre retour que je me pose LA question : mais au fait, qu’est-ce qu’illustre l’image qui m’a servi pour le nouveau logo?

*** 2 ***

Et donc, en 30 minutes, je dois changer l’intégralité de l’identité visuelle d’un projet mené en 2015. Je commence par le logo au sein duquel j’intègre une image pêchée au bol sur internet, avec pour mots-clés :” image qui fait penser à l’Afrique”. J’utilise l’image, puis je le range dans un sous-dossier de mon ordi sans plus y penser. Le projet se déroule tant bien que mal et nous revenons à Genève, épuisé.es mais content.es.

Quelques mois après notre retour, prise d’une curiosité soudaine, je me pose des questions à propos de l’image en question. Je me demande d’où elle vient, ce qu’elle représente et pourquoi, de manière si intuitive, c’est elle que j’ai choisie. J’effectue un google reverse search et la réponse ne tarde pas: les motifs font référence à quelque chose appelée ” Bogolan”. Je suis très étonnée. C’est la 1ère fois que je lis ce mot (ceci va avoir son importance dans l’épisode 3). Je fouine un peu sur internet et je me prends de passion pour ce que je découvre. Le bogolan est un textile originaire du Mali. Il est fait de coton, de terre et de pigments extraits de plantes. Je suis fascinée par le processus de fabrication qui peut prendre jusqu’à trois mois, et par la riche histoire du tissu. Du fait du projet que je venais de mener, je n’ai pas eu besoin de kérosène pour alimenter mon intérêt: j’étais conquise.

Quelques semaines plus tard, dans le cadre de mon travail pour Pré En Bulle actu , je tombe sur une association qui promeut les artisans africains et revend leurs produits sur territoire suisse. Parmi les produits proposés , de magnifiques bogolans exposés pour mon plus grand bonheur. Ce jour-là marque le début de ce qui va s’avérer une véritable addiction pour ce que je considère désormais comme des œuvres d’art.

Au prochain épisode, je vous raconterai comment un appel au boycott sur Facebook et une réflexion à propos de l’appropriation culturelle ont définitivement scellé mon désir de participer à la promotion des tissus issus du continent africain.

*** 3 ***

Attention : il va falloir s’accrocher.

Alors que je m’extasie sur le bogolan en chinant ça et là sur Facebook, je tombe sur une publication qui appelle au boycot d’une artisane française. Son crime: être blanche et oser coudre et vendre des vêtements à base de wax. Nous sommes en 2016. Les débats autour de la notion d’appropriation culturelle font rage sur les réseaux et la dame en question est accusée de s’approprier un pan de la culture africaine. Pour rappel, l’appropriation culturelle désigne à l’origine l’utilisation d’éléments matériels ou immatériels d’une culture dite dominée par les membres d’une autre culture dite dominante, sans que la culture de départ ne soit reconnue comme propriétaire de ces éléments. Une conférence de Noémi Michel chercheuse et enseignante, met en évidence la dimension économique dans cette définition. En effet, la culture dominée ne profite absolument pas des retombées économiques de cette spoliation, ce qui participe à exacerber le rapport de domination.

A cette époque évidemment, je ne comprends absolument pas ce concept et surtout je me questionne : pourquoi boycotter son business? Il faut savoir que cette dame est mariée à un sénégalais et c’est pour sa petite fille métisse qu’elle a commencé la couture à base de wax. Personnellement, je ne vois pas le problème, elle est douée, ce n’est pas une méga structure et surtout tout le monde sait d’où vient le wax , il vient d’Afrique évidemment.

Évidemment ? Tout à coup, un souvenir d’enfance me frappe et je me fige sur place : petite, j’adorais me glisser sous les pagnes de ma mère et tout en tétant mon pouce (lol), je pliais et dépliais le bas de son pagne. Pile à cette endroit, était écrit “VÉRITABLE WAX 100%HOLLANDAIS”. Ma mère n’a eu de cesse de me dire que cette inscription était la preuve absolue que c’était un VRAI pagne et qu’il fallait fuir les pagnes qui ne la portaient pas. J’étais donc fière, une fois adulte, d’acheter et de faire coudre des pagnes en ayant soin de vérifier qu’ils portaient tous ce tampon de validation. Et donc, me voici en 2016, au milieu de mon salon, téléphone à la main, ce souvenir s’imposant à moi. Il me suffit dès lors d’additionner 1 et 1 : si ce wax est fabriqué en Hollande, il ne PEUT PAS être africain. Il me suffit d’un click sur internet pour confirmer mon intuition.

Complètement choquée, le cerveau retourné, je file dans ma chambre et je ramasse tous les vêtements en wax “véritable 100% hollandais” que je fous dans une valise direction la benne à ordure. Je me sens trahie et humiliée. Depuis des décennies, j’ai arboré le wax comme moyen de revendiquer ouvertement mon identité africaine (comme si ma peau noire ne suffisait pas lol). Non seulement le wax n’est pas du tout africain mais en plus, moi, je ne sais RIEN des tissus africains.

Ce jour-là, je prends une décision qui va se concrétiser le 28 septembre 2023 : me documenter et faire connaître, à ma manière ces tissus directement issus du continent. Me reapproprier ma propre histoire à travers les textiles que je veux dorénavant être fière d’exposer.

Un épisode bonus vous apprendra comment une rencontre amoureuse a complètement transformé cette aventure.

***4***

Ce projet n’aurait certainement pas eu l’aspect qu’il a aujourd’hui si je n’avais pas rencontré Jocelyn. Autant nous deux c’était une évidence, autant une question centrale et intime va participer grandement à notre rapprochement. Aujourd’hui, texte à 4 mains. Jocelyn et moi allons vous raconter comment notre rencontre va donner la forme du projet tel qu’il est aujourd’hui. Un épisode en deux parties.

****

Je m’appelle Jocelyn. Je suis née à Bernex dans les années 90 et je suis Suisse. Enfin, c’est ce que mon passeport et mon propre ressenti me disent. Parce que, depuis toujours, on me pose sans cesse cette question : d’où viens-tu ? Cette question m’a toujours rendu perplexe et j’avais beau répondre “de Suisse”, j’avais systématiquement en retour comme réponse : ” oui mais, ton origine, quelle est-elle ?”. Aussi pendant des années, je l’ai cherchée cette origine. Mon père est originaire d’Angola et ma maman de Guadeloupe; je n’ai jamais mis les pieds dans ces pays mais je connais très bien les rues de Bernex, son église, son épicerie, sa fontaine et son parc où j’allais jouer tous les dimanches avec mes amis. Mon origine : Bernex. Et pourtant, j’avais l’impression que cette origine, on me la refusait. Après deux voyages aux États-Unis, j’ai fini par comprendre. Ce que l’on questionnait, ce n’était pas moi mais ma couleur de peau. Avoir une peau noire et être suisse, c’est un paradoxe insoluble.

J’ai fini par mettre un masque et par sourire en répondant aux gens ce qu’ils voulaient entendre. Le masque était un moyen de me protéger du monde extérieur mais aussi un moyen d’exprimer ce qui était à l’intérieur de moi. J’en ai ensuite fait un projet d’études à l’Université et j’ai créé des personnages à l’image de ceux qui habitent mon intériorité. Le Mandrill par exemple, mon alter ego, ou le Soldat, que vous voyez en photo.

Le tumulte intérieur qui est le mien ne s’apaise toutefois pas. Et c’est là que je rencontre Ariane. Elle m’intrigue. Tout feu, tout flamme, elle semble revendiquer son identité avec beaucoup de certitudes. Alors que je me questionne sans cesse à propos de qui je suis, héritier d’une triple identité, africaine, antillaise et européenne, je tombe sur cette boule d’énergie qui porte haut les couleurs de son origine. Je me suis dit que peut-être, elle m’aiderait à trouver des réponses…

***5***

Moi, Ariane, je n’ai jamais eu à me questionner sur mon identité. Au contraire, depuis que je suis née, je sais d’où je viens ( j’ai grandi à Yaoundé et je viens de Bansoa , chef-lieu de Penka Michel, situé dans le département de la Menoua dans l’ouest du Cameroun, me faisait répéter ma mère). Toutes mes activités autant au Cameroun qu’en Europe sont toujours allées dans le sens de la valorisation du patrimoine culturel qui est le mien. Je n’en ai jamais eu à rougir et il me semblait d’une évidence crasse que c’était le cas pour tout le monde.

Aussi, lorsque Jocelyn me parle de cette question qui le taraude à propos de son identité, lorsqu’il me demande le jour où nous décidons de sortir ensemble, de l’emmener en Afrique, comme une réponse à cette question, je me rends compte que la question du métissage et du déracinement est bien plus profonde et plus complexe que je ne le crois. Jocelyn m’ouvre à des possibilités encore inexplorées sur la notion d’identité et ouvre par la même occasion la porte de mon cœur.

Ariane est habitée par l’Afrique. Je suis passionnée par son regard lorsqu’elle me raconte toutes les histoires en lien avec ce continent que je rêve de decouvrir. A l’aube de notre mariage, elle me demande mi-figue mi-raisin: “et si tu explorais la question de l’identité et te réappropriais les tissus africains que je suis en train de réunir sous la forme de masques picturaux?” Elle n’a pas besoin de me le demander plusieurs fois.

[ Cela faisait en effet un moment que j’avais en tête de présenter ces tissus. Mais proposer leurs simples expositions me semblait peu. Je voulais quelque chose qui marque les esprits, une dimension esthétique et contemporaine supplémentaire qui permettrait d’attirer l’attention sur ces tissus. Lorsque Jocelyn me parle de son travail sur les masques, cela me semble une évidence : mais oui, c’est ce qu’il fallait, un projet autour à la fois des masques et des tissus.

Et c’est ainsi que nous nous réalisons notre premier shooting, en pleine lune de miel dans la maison de notre amie Estelle Baroung Hughes (avec la bénédiction de son partenaire et complice Conrad Hughes) à Dardagny, qui nous l’a gracieusement prêtée en guise de cadeau.

Cela se passe ainsi :

Ariane me donne le tissu qu’elle a réussi à récupérer après moults péripéties

Durant deux heures, Jocelyn s’approprie le tissu, son histoire, le touche, le sent, fait corps avec lui et l’interprète sur son visage. Je ne vois pas ce qu’il fait, je découvre le masque à la fin, avant le shooting.

Elle me coiffe du tissu et il prend la pose : deux à trois heures de shooting plus tard , nous obtenons une photo que nous sommes fière.es de vous présenter le 28 septembre 2023.

Ah, avant de repartir du profil d’Ariane, une dernière anecdote. Lors de notre rendez-vous pour nous inscrire à l’état civil, l’adjointe m’a demandé d’où je venais. Devant mon air confus et alors que je commençais à baragouiner la réponse attendue, Ariane a lancé sans sourciller, avec un large sourire : ” il vient de Bernex, un bon villageois de Bernex.” Je l’ai regardée, j’ai souri, et j’ai su.

Ps.: je l’ai bien emmené en Afrique, Jocelyn, au Cameroun, mais ça c’est une autre histoire.

(Dé)masquer les tissus africains

Vernissage :

📅 | Jeudi 28 septembre 2023 |

📍 | Mövenpick Hôtel & Casino Genève‎| – Rte de Pré-Bois 20, 1215 Genève.

Lien d’inscription : https://my.weezevent.com/demasquer-les-tissus-africains

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Démasque(r) les tissus africains